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Il faisait très sombre dans la ruelle que longeait Océlus dans le plus vieux quartier de la ville. Ces lieux avaient si peu changé qu'il se demanda si sa mission avec Képhas n'avait été qu'un rêve, car il se sentait revenu chez lui. Il se rappelait le chemin à suivre dans ce dédale de rues qui se croisaient à intervalles irréguliers. Matith avait été le chef des zélotes jusqu'à ce qu'il disparaisse mystérieusement un soir d'été. Ses hommes avaient aussitôt cru que les légionnaires l'avaient enlevé pour l'exécuter à Rome. Apparemment, ils avaient eu tort.

Océlus s'arrêta devant une étroite maison et s'assura de ne pas avoir été suivi. Il traversa la première pièce en silence et se glissa derrière le rideau qui masquait la porte tout au fond. Une dizaine d'hommes étaient assis autour d'une table. Océlus reconnut leurs visages. Aussi jeunes que lui lorsqu'il avait juré de débarrasser son pays de l'envahisseur romain, ils étaient devenus une véritable plaie pour l'empereur.

Le Témoin prit place au milieu des zélotes et observa les traits de Matith. Il n'avait décidément pas la mine d'un guérillero qu'on venait de torturer. Au contraire, il affichait sa mine sadique habituelle.

— Les temps ont changé, commença Matith. Nos ennemis ne sont plus les mêmes, mais ils nous empêchent comme les Romains de jouir de notre pays. Nous avons désormais une armée, c'est vrai. Toutefois, notre façon de travailler est beaucoup plus efficace.

Il distribua des photographies qui firent le tour de la table jusqu'à ce que tous les participants en aient une entre leurs mains. Océlus baissa les yeux sur la sienne. Il ne connaissait pas le nom de sa victime. Cet homme ne ressemblait en rien à un soldat ou à un magistrat d'Israël. Il avait même l'air d'un étranger. L'apôtre en avait vu bien d'autres comme lui avant de se convertir, à une époque où il ne menait pas une vie exemplaire…

— Je ne pourrai pas vous laisser ces portraits, les avertit Matith, alors mémorisez bien ces visages. Ce sont les usurpateurs que nous devons éliminer.

Océlus secoua vivement la tête.

— Je ne devrais pas être ici, murmura-t-il.

Il ignorait évidemment que le Faux Prophète lui avait jeté un terrible sort. Ce dernier agissait plus lentement sur cet homme divin, mais les démons connaissaient les faiblesses de tous et chacun.

— Je lui ai promis de ne plus prendre une vie, se rappela Océlus, de plus en plus confus.

Yaacov lui agrippa amicalement l'épaule.

— J'avais espéré que Matith nous ferait travailler par paires, ce soir.

— Je dois partir, annonça le Témoin.

Les zélotes commençaient à disparaître l'un après l'autre dans la nuit.

— Tu as raison, acquiesça Yaacov. Tu devrais déjà être sur la piste de l'envahisseur.

— Non, ce n'est pas ma mission.

Océlus tenta de se lever, mais son compatriote le rassit brutalement en appuyant sur son épaule.

— Si tu veux un jour vivre en paix chez toi, il faut d'abord nous rendre maîtres de la ville.

— Personne n'a le droit de tuer un autre être humain, Yaacov. C'est la loi de Dieu.

— Dieu nous a donné, il y a longtemps, le droit de chasser de nos terres ceux qui harcèlent ses enfants. Il ne revient jamais sur sa parole.

— Il n'a jamais dit une chose pareille.

Utilisant sa force physique, le Témoin se dégagea de l'emprise de l'assassin.

— Rien de ce qui se passe ici n'est réel, tenta-t-il de se convaincre. Tu n'es pas vraiment ici, et ces photographies ne représentent rien. Cette scène se joue uniquement dans mon imagination.

Océlus s'élança vers la porte, mais à sa grande surprise, Yaacov lui en bloqua l'accès.

— Comment as-tu fait pour te déplacer aussi rapidement ? s'étrangla l'apôtre.

— Je suis tout comme toi revenu de la mort, Yahuda. Je possède moi aussi des pouvoirs surnaturels. Laisse-moi te montrer ce que je sais faire.

Océlus ne put s'esquiver à temps. L'assassin plaça ses mains de chaque côté de sa tête et lui fit perdre conscience. Le Témoin ne sut pas combien de temps il dormit, mais lorsqu'il ouvrit les yeux, il était assis par terre, dans une ruelle sombre, le dos appuyé contre le mur arrière d'une taverne. Le soleil n'était pas encore levé.

— Que m'a-t-il fait ? grommela-t-il.

Il tenta de se lever, mais retomba sur son séant. Tout son corps le faisait souffrir, mais encore plus ses bras. Il ne pouvait pas les utiliser pour se mettre debout.

— Képhas…, implora-t-il, tout haut.

 

 

Assis en tailleur sur le sofa de son ancien appartement, Yannick ouvrit brusquement les yeux. La membrane énergétique qui l'enveloppait se dissipa sur-le-champ. Il avait bel et bien entendu la voix de son ami, mais celui-ci ne se trouvait pas dans la caverne. Sans perdre une seconde, Yannick s'élança dans les dimensions invisibles et se mit à la recherche d'Océlus. Quel ne fut pas son étonnement de le trouver dans une ruelle en état d'ébriété ! Pour ne pas attirer l'attention des résidents qui commençaient à quitter leurs maisons, Yannick attendit d'avoir ramené son compatriote dans les grottes chrétiennes pour le questionner.

Océlus s'écroula sur un fauteuil comme un pantin désarticulé. Il y avait du sang sur ses manches et sur ses mains.

— Qu'est-ce que tu as fait ? demanda Yannick, inquiet.

— Je n'en sais rien…

Yannick lui saisit les bras, le forçant à le regarder dans les yeux.

— Tu es complètement à plat, ce qui veut dire que tu n'as pas repris des forces la nuit dernière. Où es-tu allé ?

— Je n'en suis pas certain. Il y a des images étranges dans ma tête, mais elles ne semblent pas avoir de rapports entre elles.

— Laisse-moi les voir.

Le visage hagard d'Océlus ne laissait rien présager de bon, mais Yannick devait savoir ce qu'il lui était arrivé afin de lui venir en aide. Il posa une main sur le front du disciple et ferma les yeux. Son ami avait raison : une vingtaine de scènes se succédèrent rapidement dans ses pensées, et il était bien difficile de faire un lien entre elles. Certaines se passaient dans une rue, d'autres dans une taverne, d'autres encore dans une chambre à coucher. Elles se déroulaient dans une telle pénombre qu'il était impossible de distinguer un objet ou un visage qui aurait permis de les identifier. Yannick mit donc fin à son exploration.

— En deux mille ans, est-ce la première fois que cela se produit ? demanda-t-il à son compatriote.

Océlus hocha doucement la tête pour acquiescer.

— On dirait un envoûtement, et pourtant je ne sens aucun maléfice en toi.

Yannick tira un pouf pour s'asseoir directement devant Océlus.

— Tu vas me raconter absolument tout ce qui s'est passé à partir du moment où tu as cru reconnaître quelqu'un dans la foule, l'autre jour.

Malgré sa faiblesse, Océlus se plia volontiers à sa requête. Yannick écouta attentivement son récit, intrigué par le retour dans ce siècle de personnages qui avaient eux aussi vécu au temps de Jeshua. Le fait qu'ils soient de surcroît des assassins n'avait rien pour le rassurer.

— À partir de maintenant, tu ne dois plus te laisser distraire de notre mission par qui que ce soit qui provienne du présent ou du passé, recommanda-t-il.

— Je ne le fais pas consciemment, se défendit Océlus.

— Alors, je te garderai à l'œil. N'est-ce pas ce que nous avons toujours fait l'un pour l'autre depuis notre résurrection ?

— Moi plus souvent que toi.

Ce commentaire fit sourire l'ancien agent de l'ANGE. Il était vrai qu'il s'était plus souvent mis dans l'embarras que son compatriote.

— Ce sang, est-ce le tien ?

Océlus examina son corps sans trouver de blessure.

— Je me suis peut-être porté au secours de quelqu'un qui saignait, répondit-il en haussant les épaules.

Ce n'était pas impossible.

— Tu vas te reposer ce matin, décida Yannick. J'irai prêcher seul.

— Ce serait mal vu, Képhas.

— Le Père nous a demandé de mettre les hommes en garde contre la perfidie de Satan. Il n'a pas spécifié que nous devions toujours être ensemble.

— J'ai peur de rester seul ici.

Si une force mystérieuse le manipulait à son insu, il n'était évidemment pas prudent de le laisser sans surveillance dans les grottes. Yannick accepta donc de l'emmener avec lui, malgré sa mine épouvantable. Pour lui donner une plus fi ère allure, il nettoya sa tunique et ses mains grâce à ses pouvoirs surnaturels, mais il ne sut pas comment lui faire reprendre des couleurs.

— Nos sermons seront courts, aujourd'hui, assura-t-il pour encourager Océlus.

Comme il s'y attendait, Yannick ne put compter sur son compatriote pour répondre aux milliers de questions des croyants. Il jetait un coup d'œil derrière lui de temps en temps pour voir si Océlus tenait le coup. Ce dernier était assis, appuyé contre un muret, et ne faisait aucun mouvement. Il lui sembla même par moments qu'il dormait.

En réalité, tandis que Yannick s'entretenait avec la foule, Océlus tentait de mettre ses visions en ordre. Il ne reconnaissait ni les personnages ni les lieux des scènes qui jouaient en loupe dans sa tête, et il en vint même à croire qu'il pouvait s'agir des souvenirs de la personne qui avait laissé son sang sur ses vêtements. Dès qu'il serait seul avec Képhas, il lui exposerait cette théorie. « Mais pourquoi suis-je incapable de me rappeler ce que j'ai fait hier soir ? » se désespéra-t-il.

À la tombée du jour, les fidèles commencèrent à quitter la place publique par petits groupes. Lorsqu'ils furent tous partis, Chantai s'approcha des deux Témoins avant qu'ils ne disparaissent jusqu'au lendemain. L'ancien agent aidait son frère à se relever.

— Yannick, attends !

La jeune femme arriva au pas de course, un journal à la main.

— Je me doute que tu n'as pas la télé sur le petit nuage sur lequel tu dors, alors je t'ai apporté le journal.

— Merci, Chantai.

— Quand Yahuda se sentira mieux, j'aimerais que vous m'accordiez une toute petite entrevue pour mon livre.

— Ce sera avec plaisir.

Elle aurait bien aimé l'embrasser, mais ce n'était ni le moment ni l'endroit pour s'attendrir. Trop de journalistes et de photographes surveillaient les deux hommes depuis le début de leurs prêches. Il y avait même des caméras installées en permanence sur plusieurs toits des maisons de la Ville sainte. Le sourire chaleureux de Yannick remplaça le baiser qu'ils auraient pu échanger. Il disparut, emportant le pauvre Témoin épuisé avec lui.

Dès qu'ils furent arrivés dans la grotte, Yannick obligea Océlus à se brancher le premier à l'énergie divine. Ce dernier lui obéit sur-le-champ. Il avait terriblement besoin de reprendre des forces.

L'ancien professeur d'histoire s'installa non loin de lui et approcha des chandelles pour lire le journal que lui avait donné Chantai. Ce fut la photographie de la première page qui attira tout d'abord son attention. Des policiers transportaient un corps à l'extérieur d'une maison de la banlieue de Jérusalem. Ses yeux glissèrent vers le gros titre de la une : SOMBRE NUIT POUR DES TERRORISTES. Sa curiosité était piquée. Il parcourut l'article de plus en plus rapidement… inquiet d'y trouver de plus en plus de détails similaires à ceux qui se trouvaient dans la tête d'Océlus !

La nuit précédente, deux hommes avaient été assassinés à coups de couteau dans leur lit, au milieu des cris de leurs épouses horrifiées. La police avait d'abord cru que les victimes étaient de braves gens sans histoire, mais à leur arrivée à la morgue, la prise de leurs empreintes les avait reliés à un dossier criminel très particulier. En fin de compte, ces hommes étaient des criminels en fuite que les corps policiers de plusieurs pays recherchaient depuis des lustres ! Le journaliste donnait ensuite le signalement de l'assassin avant d'avancer la possibilité qu'une milice privée était peut-être à l'œuvre dans Jérusalem.

Yannick relut la description physique du meurtrier, puis leva les yeux sur Océlus. Il y avait bien sûr beaucoup de jeunes hommes aux cheveux noirs bouclés dans ce pays, mais l'article précisait que l'assassin portait un bandeau rouge autour de la tête et une longue tunique ancienne… Satan avait-il réussi à noircir l'âme de Yahuda Ish Keriyot ? Ce dernier affirmait n'avoir aucun souvenir de ses agissements de la veille, en dehors de ces images disparates qui surgissaient sans avertissement dans son esprit. S'il était le meurtrier que recherchaient les policiers, comment le Père réagirait-il face à sa trahison ?

Yannick replia le journal et le déposa sur la table à café. Avant de se voir contraint de remettre ce fidèle serviteur entre les mains de la justice céleste, il allait d'abord tout tenter pour élucider ce mystère, car Océlus n'était pas seulement un des apôtres de Jeshua, il était également son ami.

 

Sicarius
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